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De nombreuses bactéries, comme Clostridium difficile, colonisent nos intestins. Celles-ci nous sont indispensables pour de nombreuses fonctions, comme une digestion optimale, et seraient aussi fondamentales pour le bon développement du système immunitaire durant l'enfance. Seuls ces vieux amis qui nous veulent du bien joueraient ce rôle, ce qui remet en cause la théorie hygiéniste telle qu'elle a été formulée. © Janice Carr, CDC, DP
Tout commence en 1989, dans le British Medical Journal. David Strachan, alors chercheur à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, explique qu'il existe un lien entre l'exposition aux microbes durant la petite enfance et l'épidémie d'allergies. Il suppose que notre mode de vie aseptisé limite fortement le contact entre les enfants et les micro-organismes environnants, empêchant le système immunitaire de se développer comme il faut. De ce fait, les défenses de l'organisme réagissent de manière exagérée lorsque certains éléments inoffensifs, comme du pollenpollen, pénètrent dans le corps : c'est l'allergie. On parle alors d'hypothèse hygiéniste.
Cette théorie n'est pas la seule mais a plutôt bonne presse, même si elle ne convainc pas tout le monde. Cependant, les successeurs de Strachan à l'université londonienne remettent en cause les travaux de leur prédécesseur, ou plutôt les précisent en relatant dans l'International Scientific Forum on Home Hygiene qu'il vaut mieux accorder plus de crédit à l'hypothèse des vieux amis, explicitée par Graham Rooke en 2003.
Cette conclusion, annoncée également lors de l'Infection Prevention 2012 de Liverpool, se base sur l'analyse de vingt années de recherches publiées sur la question. Selon les chercheurs, les différentes études sur le sujet apportent des éléments concrets ne pouvant accréditer complètement les thèses de David Strachan et une mise à jour s'impose.
Allergies : des vieux amis qui nous veulent du bien
Au lieu de considérer que tous les microbes contribuent au bon développement du système immunitaire, Graham Rooke suppose que seuls quelques-uns, qu'il nomme nos « vieux amis », sont nécessaires. Ces bactéries, virusvirus ou parasitesparasites existent depuis des dizaines de millénaires et ont coévolué avec l'Homme, pour composer par exemple notre flore intestinale. Le lien symbiotique qui nous unit permettrait aux enfants de développer des défenses pleinement efficaces, leur évitant l'allergie. En revanche, les virus du rhume, de la grippegrippe ou bien d'autres germesgermes pathogènespathogènes ne nous apporteraient aucun bénéfice sanitaire et ceux-ci seraient à bannir au maximum car d'aucun intérêt pour l'immunitéimmunité.
La réaction allergique se manifeste par différents symptômes, de l'inflammation à l'éternuement. Il s'agit à la base d'une hypersensibilité du système immunitaire à un élément étranger au corps mais non pathogène. Ce défaut pourrait provenir d'un déficit d'exposition à certains microbes durant l'enfance. © James Gathany, CDC, DP
Or, depuis les deux cents dernières années où l'on a commencé à répertorier les cas d'allergies, le monde a été profondément transformé, et les microbes aussi. AssainissementAssainissement des eaux, stérilisation de composés, usage intensif d'antibiotiques, etc. ont eu raison de bon nombre de micro-organismes, des mauvais comme des gentils. Ces progrès se sont donc accompagnés de dommages collatéraux qui se matérialisent par une épidémie de maladies allergiques depuis qu'on perd le contact avec nos vieux amis.
À cela, il faut aussi ajouter d'autres éléments. Des prédispositionsprédispositions génétiquesgénétiques d'abord, puisque nous ne sommes pas tous égaux face aux maladies. Mais également les modes de vie modernes, à base d'une alimentation nouvelle, de pollution, de stressstress ou de sédentarité. Enfin, l'urbanisation pourrait y être pour quelque chose, car microbes des villes et microbes des champs ne sont pas tout à fait les mêmes.
La théorie hygiéniste est-elle complètement dépassée ?
Rosalind Stanwell-Smith, coauteure de cette étude, y voit un travail important. Cela permettra aux parents très attentifs à l'hygiène de ne pas culpabiliser si leur enfant est allergique, car on pouvait leur reprocher d'être trop scrupuleux sur le ménage et le bain du petit. « Prétendre qu'à vouloir être propre on peut tomber malade, c'est plutôt mal venu. »
Sally Bloomfield, autre coauteure, préfère voir les choses du bon côté. Pour elle, nous ne sommes pas confrontés à un dilemme cornélien et nous n'avons pas à choisir entre les maladies infectieuses ou les allergies. En ciblant précisément, on pourrait peut-être éviter les deux.
Cependant, cette analyse n'apporte aucune solution concrète au problème et ne vient que compléter une théorie défendue il y a 23 ans. Malgré l'assurance des chercheurs dans leurs propos, il serait mal venu de tenir pour absolument vraie cette hypothèse, le travail manquant peut-être d'un peu d'impartialité. En effet, dans la liste des contributeurs, le nom de Graham Rooke ressort, celui-là même qui a émis la théorie des vieux amis. Pouvait-on croire que les scientifiques allaient tout faire pour l'infirmer ?